vendredi 9 mars 2018

La bataille du « roman national », est-elle de retour ?




La bataille du « roman national », est-elle de retour ? La réponse est oui et elle a déjà commencé. Peut-être même elle n’a jamais cessé, mais elle n’a jamais été aussi virulente qu’aujourd’hui. Chacun en connaît plus ou moins les enjeux : il s’agit de savoir si le « roman national », avec ses figures édifiantes et structurantes que sont Élissa-Didon, Hannibal, Ibn Khaldoun, Kheireddine Pacha, Bourguiba..., est encore transmissible dans une société en mouvement ? Peut-on encore écrire une histoire nationale à l’heure de la mondialisation ? À l’évidence oui, et c’est sans doute devenu une urgente obligation politique. Mais la manière d’aborder cette histoire ne peut plus être identique à ce que nous faisions auparavant. Les historiens ne sont pas là pour reproduire les récits du passé, comme si aucune recherche ni réflexion méthodologique n’avait eu lieu depuis dès décennies. Leur métier est d’écrire l’histoire, donc de la réécrire, et non de la réciter. Les différentes « Histoire de la Tunisie » qui sont parues depuis les années 1960 sont en effet des tentatives de réponse à cette interrogation. Une façon pour ce collectif d’historiens de se ressaisir de ce débat à travers la recherche d’une mise en récit plurivoque, diverse et dépaysante, de l’Histoire de la Tunisie. Car si le genre « Histoire de la Tunisie » a pu être investi récemment par quelques publications de vulgarisations, c’est aussi parce qu’il avait été relativement délaissé par l’histoire savante, ou à tout le moins délégitimé comme enjeu épistémologique de l’écriture de l’histoire. Ce geste éditorial est à la fois un mode d’intervention des historiens dans l’espace public, une modeste contribution aux débats sur le sens de la citoyenneté mais aussi une tentative d’illustration de l’apport de l’histoire à la vie intellectuelle. Il s’agit donc à la fois de faire œuvre publique et de réfléchir aux liens entre les historiens et l'Agora. En ce sens, elle est une défense et illustration d’une histoire considérée comme discours engagé et citoyen surtout que les années passées ont été marquée par une longue série de polémiques sur l’histoire de la Tunisie constamment instrumentalisée dans les débats politiques et les des campagnes électorales. Les épisodes qui ont rythmé ces polémiques sont trop connus pour que l’on y revienne en détail : Des débats autour du sens philosophique de l’identité nationale aux polémiques sur les programmes scolaires dans la réforme voulue par Néji Jalloul, en passant par le projet du Ministère de la Culture de tout inscrire sur la liste du Patrimoine Mondiale de l’UNESCO, les défenseurs autoproclamés de l’Histoire de Tunisie n’ont cessé de faire comme si les Historiens, les scientifiques, avaient abandonné leur objet d’études, contribué au délitement social et accéléré la dissolution de la fierté nationale. Dans un contexte d’incertitude et de tensions politiques, l’Histoire est mis au banc des accusés. En s’ouvrant à un vaste public, à de nouvelles thématiques et de nouvelles problématiques, aussi bien la recherche que les programmes scolaires auraient sacrifié la Nation sur l’autel de l’Histoire en mouvement, précipitant la crise identitaire et le déclin de la Tunisie.
Les critiques faites aux décideurs, maintes fois répétées par les scientifiques, c’est-à-dire par les Historiens académiciens, reprennent la vision-monde de l’École des Annales qui essaie d’englober la vision nationaliste de l’Histoire dans une démarche historiographique plus générale, celle liée à la construction de l’État par le haut. La réponse politicienne paraît, dès lors, simple : seul un retour au « roman national », tel qu’enseigné dans les années 1960 permettrait de restaurer le sens profond de la Nation, de défendre le projet progressiste et de réduire au silence les extrémistes ! Il s’agirait ainsi de faire comme si l’Histoire n’était pas une science humaine, comme si elle ne s’était pas enrichie et complexifiée au fil du temps, dans le dialogue avec les autres sciences sociales et la prise en compte d’autres espaces et d’autres temporalités. Là encore, il n’est sans doute guère utile de s’étendre plus avant sur l’inanité d’une vision qui consisterait à répliquer sans fin le « roman national » qui avait certes sa légitimité et son utilité, mais ne correspond plus à l’état de la recherche et aux attentes de la population tunisienne.

jeudi 1 mars 2018

Le dialogue interreligieux comme un modus vivendi




Le dialogue des convictions religieuses a-t-il aujourd’hui droit de cité dans l’espace public ? Doit-il, pour respecter le jeu politique, être simplement d’ordre privé ? Le dialogue interreligieux est-il laïc ? L’expérience de faire coexister, au même temps, le rational et l’irrationnel peut-elle contribuer à favoriser le vivre ensemble ? Peut-on s’engager pour le vivre-ensemble sans remettre en cause les traditions ?
Souvent présentés hors des cadres officiels, l’interreligieux et le dialogue des convictions sont pourtant un levier efficace pour la cohésion sociale. Or cette cohésion sociale est précisément ce que les rédacteurs de la Nostra Aetate espéraient permettre. Dans l’esprit de cette déclaration œcuménique, la coexistence active et le dialogue interreligieux peuvent trouver place dans les préoccupations des sociétés modernes et postmodernes.
Mais quelques deux siècles avec le concile du Vatican II, l’œuvre du philosophe David Hume a bien  établi l'Introduction à ce dialogue. Ennemi déclaré des préjugés et de tout raisonnement invérifiable, notre auteur a ouvert une voie pour faire dialoguer, philosophiquement, les religions.
Étymologiquement, le mot dialogue dérive du latin dialogus, lui-même emprunté au grec dialogos, et réfère aux entretiens philosophiques à la manière des dialogues de Platon. Cela est bref, mais suffit à nous mettre sur une piste intéressante car s’il est un trait essentiel des dialogues platoniciens. C’est bien celui de l’argumentation. L’auteur échange ou développe avec un interlocuteur des arguments pour en arriver à établir des thèses. Une première caractérisation d’un dialogue véritable serait alors qu’il soit un échange d’arguments en vue d’en arriver à établir une thèse, une théorie ou même un état de fait. Tant qu’il y a échange d’arguments (et donc de contre-arguments) qui font avancer l’état des choses ou de la discussion, le dialogue est réel. S’il vient à stagner, à se limiter à des affirmations ou de simples répétitions, on dira alors qu’il s’agit d’un dialogue de sourds. Armés de cette définition, demandons-nous quel type de dialogue est possible entre les trois grands monothéismes. Si la religion, ou plus concrètement un individu croyant de religion juive, chrétienne, musulmane ou autre veut s’enquérir de l’état du monde, il peut sûrement « dialoguer » tout d'abord avec lui-même, avec  les textes de sa religion, mais aussi avec les autres croyances. C'est pourquoi le réflexe des promoteurs du dialogue consiste très souvent à se placer de la position du « détenteur de la vérité » à celle du « chercheur de la vérité ». Une telle posture se retrouve également dans le comportement quotidien. Dans l'un de ses écrits, Pr. Mohamed Talbi affirme que le dialogue interreligion doit être une quête de cohérence, si l’on veut en arriver à une dimension plus globale et plus complexe de la réalité humaine. Ainsi chaque religion, chaque philosophie, chaque pensée, devint un moyen pour lever le voile sur une dimension particulière de l’expérience humaine. La capacité de dialoguer l’Autre, qui se trouve parfois en nous, est peut être l’un des plus beaux mystères anthropologiques. Le libre-arbitre de l’humain est d’autant plus fascinant qu’il lui laisse le choix entre l’isolement et l’ouverture sur ce qui est le plus beau dans pensée humaine. L’autre nous altère parfois, c’est-à-dire, et c’est un paradoxe, qu’il nous blesse et nous enrichit en même temps, nous rend « manquants », « en quête ». Il nous reconnaît à la fois comme irremplaçable, singulier et incomplet.