samedi 17 mai 2014

La révolution tunisienne et les défis d'une définition






Il est peu de réalités aussi essentielles et aussi sujettes à disputes que le fait révolutionnaire en Tunisie. Les discours qui le nient ne manquent pas, les oppressions qui la bafouent sont légion. Néanmoins, les justifications théoriques et les défenses du mouvement révolutionnaire en Tunisie comme dans le reste des pays du « printemps arabe » s’inscrivent dans le contexte polémique de ces dénégations. Tenue par une pure illusion ou présentée comme réalité du tunisien, cantonnée dans l’ordre d’agir ou renvoyée du côté de la subjectivité, déclinée au pluriel ou limitée au singulier, prise pour une détermination politique ou exclusivement éthique, la révolution tunisienne semble être l’objet des discours les plus contradictoires comme si elle était rebelle à toute tentative de définition. Cette polysémie fluctuante pourrait recevoir une interprétation commode : il n’est pas possible de définir ce qui échappe à la délimitation. La révolution du peuple tunisien, en effet, n’a pas d’essence puisqu’elle ne saurait se laisser enfermer dans une délimitation. Comment pourrait-on déterminer ce qui échappe à toute délimitation ? Ce type de discours est, au fond, une dérobade car la révolution tunisienne a une signification précise qu’il doit être possible de clarifier ; il faut bien convenir, en effet, que les ambiguïtés d’un tel essai de définition n’interdisent pas d’entrevoir un sens commun. Dans le cas contraire, il serait même impossible d’en parler.  Tout d’abord, la révolution tunisienne est souvent présentée comme un objet de conquête et simultanément comme une réalité inaliénable. Tout à la fois un idéal et une réalité constitutive de l’être même du tunisien. Pourtant, si elle est à conquérir, elle n’est pas déjà donnée ; si, en revanche, elle est inaliénable, elle est toujours déjà là. Ces deux pôles induisent à leur tour des contradictions : si on la tient pour inaliénable, sa défense apparaît inutile et contradictoire ; si on la défend, elle peut être tenue pour une réalité fragile, voir contingente et relative.  Cette première difficulté reconduit à une seconde : la définition consiste à tracer la limite qui circonscrit l’objet dont on parle. Or la révolution est surgissement imprévisible et le discours qui lui  assigne par un terme la nie par là même.   L’objectivation de la révolution est l’anéantissement du mouvement révolutionnaire même. Tout ce passe donc comme si l’effort de définition de la révolution tunisienne était frappé d’impuissance à sa source même : le projet de faire passer la révolution le langage quotidien est contradictoire en soi, puisque le langage immobilise et généralise ce qui, précisément, échappe à toute fixité et généralité. Ainsi, la révolution est liée à la dynamique d’un agir rebelle à toute immobilité c'est-à-dire qu’elle est indissociable d’une temporalité mouvante, ouverte à l’imprévisible.       

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